01 November, 2006

« OBLIGER LES CANDIDATS A CHERCHER DES SOLUTIONS AUX PROBLEMES DE L’ARMENIE ».Quinzième anniversaire de l’indépendance, conférence « Arménie-Diaspora », visite de Chirac, crise russo-géorgienne et conflit du Karabagh, l’agenda de la diplomatie arménienne du mois de septembre a été particulièrement chargé. Alors que des rumeurs courent à Erevan quant à sa possible candidature aux présidentielles de 2008, Vartan Oskanian revient sur cette actualité brûlante. Après huit ans passés à la tête du Ministère des Affaires étrangères, il livre également quelques informations quant à ses ambitions personnelles.

France-Arménie : L’arrestation par les autorités géorgiennes de quatre officiers russes accusés d’espionnage vient d’envenimer les relations entre Moscou et Tbilissi. Déjà, depuis le 8 juillet, la frontière terrestre entre ces deux pays était fermée. Jusqu’à quelle point ces crises répétitives entre la Géorgie et la Russie peuvent-elles nuire à l’Arménie ?

Vartan Oskanian : Il n’y a aucun doute que le conflit entre la Russie et la Géorgie a des conséquences négatives pour l’Arménie, à la fois sur le plan politique et économique. La fermeture des frontières entre ces deux pays a pour effet de nous priver de toute voie de communications terrestres et maritimes vers la Russie. Aussi, sommes-nous très préoccupés par ces événements.
En ce qui concerne les derniers développements de cette affaire [Ndlr : d’espionnage], nous considérons qu’ils relèvent d’un problème dans les relations entre la Russie et la Géorgie. Mais, les tensions n’étant profitables pour personne, nous espérons que ces deux Etats régleront leurs différends au plus vite.

FA : Pour la première fois un Président français s’est rendu en Arménie. Que représente cet événement ?

VO : Cette visite est d’abord historique. Au cours de ces quinze dernières années, les relations entre Erevan et Paris ont connu une croissance dynamique. La France a apporté une aide importante au développement et à la consolidation de l’Etat arménien. Aussi est-elle très appréciée ici tant pour son action dans le domaine politique et économique que pour ses initiatives dans le secteur de l’enseignement et de la culture. Cette visite est la meilleure manifestation de l’amitié qui lie nos deux pays.

FA : La visite de M. Chirac marque-t-elle un changement de la politique de la France dans la région ?

VO : Je ne pense pas qu’il y ait un changement de la politique de la France. Celle-ci a toujours été active dans le Caucase. Nous avons besoin d’une France qui, ayant un point de vue équitable en ce qui concerne les conflits existant dans la région, puisse exprimer des jugements intelligibles pour toutes les parties. Mais en même temps, il est vrai qu’il existe des préjugés favorables dans les relations entre nos deux pays. Ils concernent surtout l’amitié et les liens historiques qui nous unissent, notre proximité culturelle, le rôle de la Diaspora arménienne en France ou l’aide apportée par la diplomatie française à l’intégration de l’Arménie dans les institutions européennes.

FA : Le 27 septembre, le Parlement européen a adopté une résolution très critique à l’égard de la Turquie. Mais le texte ne mentionne pas explicitement le Génocide arménien. S’agit-il d’une défaite pour les acteurs de la Cause arménienne ?

VO : Cette décision du Parlement européen est une bonne décision. Nous l’apprécions positivement. Le fait que la reconnaissance du Génocide comme condition préalable à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne ait été supprimée du rapport ne doit pas être considéré comme un élément dépréciatif pour l’Arménie. Et ceci, d’abord, parce que le lien entre la reconnaissance du Génocide et l’entrée de la Turquie dans l’UE existe peut-être. Si la version préparatoire avait été conservée, nous aurions considéré ce rapport comme « idéal ». Aujourd’hui, celui-ci est certes en dessous de l’« idéal », mais il n’en conserve pas moins une réelle et sérieuse valeur politique. Si le texte affirme que le problème du Génocide ne relève pas des critères de Copenhague, il indique en revanche que si la Turquie veut devenir membre de l’UE, alors elle doit obligatoirement se réconcilier avec son passé. Cela signifie que le Parlement appelle la Turquie à reconnaître le Génocide. Ce rapport est également important car il impose comme condition à l’adhésion l’ouverture des frontières entre l’Arménie et la Turquie. La Turquie doit ouvrir ses frontières avec l’Arménie le plus vite possible si elle souhaite pouvoir poser sa candidature dans les délais.

FA : Le 2 octobre dernier, la Troïka de l’Union européenne a approuvé le programme proposé par l’Arménie dans le cadre de la « Politique de nouveau voisinage ». Quelle importance doit-on accorder à cet événement ?

VO : L’Arménie a été incluse dans ce programme en 2004 en même temps que d’autres pays du Caucase du Sud. La « Politique de voisinage » nous offre la possibilité de mettre en œuvre des réformes dans tous les secteurs avec le soutien de l’UE. Cela permettra à l’Arménie d’établir des relations plus étroites avec l’Europe dans les domaines politique, commercial, économique, scientifique, éducatif ou culturel. Au niveau régional, cette sorte de partenariat ouvre des perspectives pour le règlement des conflits, pour la coopération frontalière et pour les transports et l’énergie.
Cette année, nous avons beaucoup travaillé sur ces documents. On y trouve les exigences de Bruxelles à notre égard et nos souhaits en ce qui concerne le développement de nos relations avec l’UE. C’est un bon rapport, assez intéressant. Et nous sommes très contents de la perspective de la signature prochaine d’un accord. La principale différence avec les versions précédentes, c’est que cette fois-ci, le texte évoque un réel projet d’intégration. Lorsque les discussions auront abouti, je crois que les relations entre l’Arménie et l’UE seront d’une toute autre qualité.

FA : L’Arménie a fêté cette année ses quinze ans d’indépendance. Comment réagissez-vous à cet événement ?

VO : Quinze ans, c’est un événement historique. Dans notre histoire récente, nous n’avons jamais eu quinze ans d’indépendance. Ce quinzième anniversaire a été l’occasion d’une rencontre avec la diaspora qui a permis de dresser un bilan de nos relations. Ce que nous avons réalisé jusqu’ici nous donne l’espoir de pouvoir faire davantage demain. Nous pensons qu’au cours de ces quinze ans, des bases assez solides ont été jetées pour le développement d’une Arménie prospère. J’espère que les décisions qui ont été prises au cours de la troisième conférence « Arménie-Diaspora » serviront de base à ce projet d’avenir.

FA : Justement, la troisième conférence « Arménie-Diaspora » a été l’occasion du lancement d’un projet d’éradication de la pauvreté dans les milieux ruraux. Quelles sont les grandes lignes de ce programme ?

VO : Aujourd’hui, la pauvreté dans les régions rurales et leurs différences de développement par rapport à Erevan sont des problèmes fondamentaux que nous devons absolument résoudre. C’est pourquoi nous avons décidé de mettre cette question au cœur de notre agenda. Et lors de la conférence, la Diaspora a très bien reçu ce projet. Le programme vise à créer des infrastructures dans les milieux ruraux. Si nous réussissons à franchir sa première étape, je pense que cela suscitera de l’enthousiasme à la fois en Arménie, en Artsakh et dans la Diaspora. Je crois réellement que nous arriverons dans les dix ans à venir à élever le niveau des campagnes vers celui des villes de façon à assurer un développement égal à toute l’Arménie.

FA : Quelles garanties peut donner le gouvernement arménien en ce qui concerne la corruption ?

VO : Bien sûr, la corruption est une difficulté en Arménie. C’est un obstacle sérieux aux relations avec la diaspora ainsi qu’au développement rapide de notre économie. Aussi cette question doit-elle être au centre de nos préoccupations. En ce qui concerne le projet de lutte contre la pauvreté, nous limiterons considérablement les risques en mettant en place des instances de contrôle en concertation avec la diaspora.

FA : L’Arménie ne semble pas avoir une réelle politique vis-à-vis des petits agriculteurs, préférant apporter un soutien aux grands propriétaires. Quelles garanties les petits exploitants pourront-ils avoir que les investissements réalisées ne profiteront pas qu’aux gros ?

VO : C’est un problème économique sérieux. Aujourd’hui, l’Arménie a une économie libérale. Mais, il est vrai qu’il existe des privilèges, nous ne pouvons le nier. Certains milieux disposent d’avantages qui gênent le développement du petit commerce. Mais je crois que c’est une question qui peut-être résolue.

FA : A propos du conflit du Karabagh, peut-on espérer la tenue prochaine d’un sommet Aliev-Kotcharian ?

VO : Il est trop tôt pour parler d’un sommet. Il faut d’abord mener un travail préparatoire dans le cadre de rencontres entre ministres des Affaires étrangères. Et pour que ces rencontres aient lieu, il faut envisager des actions particulières. Ces derniers temps, l’Azerbaïdjan a voulu porter la question du Karabagh devant l’ONU. C’est pourquoi le processus dans lequel nous étions engagés a d’une certaine façon été stoppé. Nous cherchons aujourd’hui à le ramener dans la bonne direction. Les représentants de la Troïka du groupe de Minsk effectueront prochainement une nouvelle tournée en Arménie, en Azerbaïdjan et au Karabagh afin d’apprécier la nouvelle situation. Si les choses reprennent leur cours normal, je pense qu’il sera possible d’organiser une rencontre des chefs de la diplomatie dans un avenir proche (1). Pour ensuite décider si cela vaut la peine d’organiser un sommet entre les Présidents.

FA : Dans son interview à Hayastani Hanrabédoutioun, le président Chirac insiste sur le rôle que pourrait jouer le G8 pour garantir un accord sur le Karabagh. Est-ce une nouveauté ?

VO : Non pas vraiment. Il y a eu par le passé d’autres déclarations semblables. Mais nous apprécions ce rappel. Plus la question du Karabagh est au centre des préoccupations des Grandes Puissances, plus cela oblige les parties à chercher une solution au conflit évitant une reprise des hostilités. Bien sûr, il aurait été utile que nous soyons arrivés à un accord avant la réunion du G8 qui s’est tenue à Saint-Petersbourg en juillet. Mais cela n’a pas été le cas pour différentes raisons. Quoi qu’il en soit, un document est maintenant sur la table. Cela nous donne l’espoir de pouvoir mener jusqu’à son terme le travail complémentaire nécessaire. Si l’Azerbaïdjan revient à la table des négociations, sans biaiser et sans chercher à sortir du cadre des discussions actuelles, je crois que nous pourrons aboutir.

FA : Beaucoup d’observateurs ont jugé que votre discours lors de la troisième réunion « Arménie-Diaspora » ressemblait à une déclaration de candidature pour la présidentielle de 2008. On sait que vous vous refusez pour l’instant de vous déclarer. Mais de quoi dépendrait votre candidature ?

VO : Franchement, je ne pense pas à cela. Mon intervention à cette réunion était conforme à l’esprit de mes allocutions précédentes. Il n’y avait là rien de nouveau. J’ai déjà eu l’occasion de dire qu’il ne fallait pas se concentrer sur les individus mais sur les programmes. Et indépendamment du fait que nous soyons ou non candidat, nous avons le devoir d’en proposer un. Les élections sont une occasion historique de préciser ces agendas. Et il est important d’y soulever de nouvelles questions pour que les étapes de développement de l’Arménie soient de meilleure qualité. Si nous ne réussissons pas d’ici un an et demi à formuler les difficultés existantes et à obliger les candidats à les prendre en compte nous aurons alors échoué dans nos objectifs. C’est pourquoi je profiterai de toutes les occasions pour inciter les citoyens à exiger des prétendants aux postes de Présidents de réelles solutions aux problèmes.
Propos recueillis par Vahé Ter Minassian (Envoyé spécial, Erevan)
1 Les chefs de la diplomatie arménienne et azérie, Vartan Oskanian et Elmar Mammadyarov se sont effectivement rencontrés le 6 octobre dernier, à Moscou. Tandis qu’un autre entretien devait être organisé les 24 et 25 octobre à Paris.
Citation :
« Bien sûr, la corruption est une difficulté en Arménie. C’est un obstacle sérieux aux relations avec la diaspora ainsi qu’au développement rapide de notre économie. »

Print the page