Lettre-réponse du Président d’Arménie Serzh Sargsyan à la lettre-invitation du Président turc

16 janvier, 2015

"Monsieur le Président,

J’ai reçu votre invitation à assister aux cérémonies de commémoration du centenaire de la bataille de Gallipoli.

En effet, la Première Guerre mondiale qui a coûté la vie et brisé les destins de millions d'innocents est l’une des pages les plus terribles de l'histoire de l'humanité.

Le capitaine Sarkis Torossian, officier d’origine arménienne, participait également à la bataille de Gallipoli dans les rangs des troupes d’artillerie de l’Empire Ottoman, en signe de dévouement à la sécurité et à la défense de l'Empire qui l'a décoré de distinctions militaires pour son fidèle service et pour son courage. Même lui, néanmoins, n'a pas été épargné par les vagues de massacres et des déportations planifiés et exécutés contre le peuple arménien qui, durant cette même année, ont atteint leur apogée: ses parents brutalement assassinés et sa sœur morte dans le désert syrien étaient parmi le million et demi d'Arméniens massacrés pendant le génocide.

Ce sont ces massacres sans précédent qui ont amené Raphael Lemkin à créer le terme de «génocide», et c’est l'impunité de ce génocide qui a ouvert la voie à l’Holocauste, aux génocides au Rwanda, au Cambodge et au Darfour.

Selon vous, la bataille de Gallipoli est un exemple particulier des liens amicaux auxquels la guerre a donné naissance non seulement pour la Turquie mais aussi pour le monde entier, et le champ de bataille est un monument de paix et d'amitié rappelant l'héritage amer de cette guerre. Mis à part les réalités connues sur l'importance de la bataille de Gallipoli et le rôle controversé de la Turquie lors des deux guerres mondiales, il est nécessaire de se rappeler que la paix et l'amitié doivent être construites avant tout sur la base du courage d'affronter son propre passé, sur la justice historique et sur une reconnaissance non sélective de la mémoire de l’humanité entière.

Hélas, la Turquie continue sa politique traditionnelle de déni et, "améliorant" d'année à année sa boîte à outils de déformation de l'histoire, commémore cette année - pour la première fois - le centenaire des affrontements de Gallipoli le jour du 24 avril, alors qu'ils ont commencé le 18 mars 1915 et se sont poursuivis jusqu'à la fin du mois de janvier1916, et que les batailles terrestres de Gallipoli et le débarquement des Alliés ont commencé le 25 avril. Cette démarche vise-t-elle un objectif autre que celui de détourner tout simplement l'attention de la communauté internationale du centième anniversaire du Génocide des Arméniens? Cependant, avant d’initier un tel événement commémoratif, la Turquie avait un devoir beaucoup plus important à l'égard de son peuple et de l'humanité tout entière, celui de la reconnaissance et de la condamnation du Génocide des Arméniens.

Je conseillerais donc de ne pas oublier, dans vos appels à la paix universelle, d'adresser un message de reconnaissance du Génocide des Arméniens au monde entier en rendant hommage à la mémoire des 1,5 million de victimes innocentes. C’est le devoir de chacun d’entre nous de transmettre aux générations futures l'histoire vraie et sans falsifications afin d'éviter la répétition des crimes contre l’humanité et d'ouvrir la voie au rapprochement et à la coopération ultérieure entre les nations, tout particulièrement entre nations voisines.

PS. Votre Excellence, il y a encore quelques mois, je vous avais invité à Erevan pour que nous rendions hommage ensemble, le 24 avril 2015, à la mémoire des victimes du Génocide des Arméniens. Il n'est pas d'usage chez nous de se rendre chez son propre invité sans avoir reçu la réponse à sa propre invitation."

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