Interview du Ministre des Affaires étrangères de la République d’Arménie, Monsieur Edward NALBANDIAN au Magazine Nouvelles d'Arménie
26 mai, 2017L'Arménie aux avant-postes de la Francophonie
Question : Monsieur le Ministre, l'Arménie accueillera en 2018 le Sommet de la Francophonie. Quels sont les travaux préparatoires qui sont déjà en cours ?
Edward NALBANDIAN : Les autorités arméniennes accordent une très grande importance à cet événement d'envergure internationale sans précédent dans l'histoire de l'Arménie indépendante, et Conformément au Décret du Président, une commission préparatoire présidée par le Premier ministre a été déjà mise en place.
L’Arménie accueillera des délégations de haut niveau de près de la moitié des pays du monde. De tels sommets, vous devez vous en douter, ne peuvent pas être organisés en une semaine ou un mois.
Les démarches actives qui ont précédé la décision de tenir le Sommet à Erevan ont duré environ un an, et les travaux préparatoires du Sommet ont déjà commencé en collaboration avec le Secrétariat de la Francophonie.
Dans le cadre de sa visite officielle en France au mois de mars dernier, le Président de la République d'Arménie, Monsieur Serge SARGSYAN a rencontré la Secrétaire Générale de la Francophonie Madame Michaëlle JEAN au siège de l’Organisation Internationale de la Francophonie. Au cours de cette rencontre, les grandes orientations du Sommet ont été abordées.
Très prochainement, dans le cadre des préparatifs du Sommet, une délégation officielle du Secrétariat de la Francophonie se rendra en Arménie.
Dans les mois qui viennent, le dossier du Sommet de la Francophonie en Arménie, reflétant la thématique et les sujets principaux, le slogan, le logo et d'autres information concernant le sommet, sera élaboré.
Ce dossier sera présenté à l'automne 2017, dans le cadre de la prochaine Conférence ministérielle de la Francophonie, qui aura lieu au Togo, laquelle l’Arménie, dans la perspective du Sommet d’Erevan, prendra la présidence de la Conférence ministérielle de la Francophonie et avec celle-ci – toute la charge de travail lui incombant. En automne 2018, l’Arménie présidera pour une période de deux ans cette Organisation qui unit 84 pays membres de plein droit, associés et observateurs.
Question : Monsieur le Ministre, pourriez-vous présenter les attentes de l'Arménie du Sommet qui se tiendra à Erevan.
Edward NALBANDIAN : Les attentes sont de deux ordres : directs et indirects. Il sera toujours temps de parler des attentes directes lorsque les priorités de notre présidence au sommet auront été formulées. À cet égard, je peux dire qu’en sa qualité de pays qui va présider la Francophonie, l'Arménie continuera à poursuivre les objectifs de l'Organisation et à œuvrer en faveur de la solidarité, de l'égalité des peuples, du dialogue, de la démocratie, des droits de l’homme, de la diversité culturelle et d'autres valeurs et principes que nous partageons avec les autres Etats membres, et qui nous sont profondément familiers.
A cette étape, je voudrais aborder certaines attentes indirectes. Tout d'abord, il est important pour l'Arménie d'être plus ouverte, visible et accessible pour le monde ; c’est notre souhait d’avoir une implication toujours plus forte dans les processus internationaux.
L’élargissement du cadre et de la géographie des liens de l'Arménie offre naturellement plus de possibilités et de perspectives à sa politique étrangère.
Le fait qu’a l’issue d'une rude concurrence, les rênes d’une Organisation, qui a une histoire de près d'un demi-siècle et joue un rôle particulier dans les affaires internationales, aient été confiées à l’Arménie, à l'un des plus jeunes membres de la Francophonie, met en évidence la confiance et la solidarité qui nous ont été témoignées.
Il ne fait aucun doute que le sommet apportera plus de visibilité à notre pays des points de vu politique, économique, culturel, éducatif ou encore touristique. Pour ainsi dire, le sommet doit être considéré comme une sorte d'investissement qui profite à toutes les parties – l’organisation, les États membres, et bien sûr le pays d’accueil. Ce n’est pas un hasard si les Etats sont en compétition pour accueillir un tel grand rassemblement international. Et l’Arménie, comme je l'ai indiqué, a conquis le droit d'organiser le sommet dans une concurrence assez forte.
Question : Certains de nos lecteurs pourraient être intéressés par les détails de cette concurrence. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Edward NALBANDIAN : Dans le travail diplomatique, c'est le temps qui dévoile les parenthèses. L'important est que la décision a déjà été prise, et il faut regarder en avant et se préparer au mieux pour cet événement sans précédent en collaboration avec nos partenaires - tous les membres de l'Organisation sans exception. Par ailleurs, nous célébrerons en 2020 le 50e anniversaire de la formation de la Francophonie, et les préparatifs de cet événement seront menés durant notre présidence. L'Arménie passera la présidence à la Tunisie, et nous avons l'intention de travailler de manière étroite avec nos partenaires tunisiens.
Question : Vous avez dit que toutes les parties bénéficieront de cet événement. A cet égard, pouvez-vous dire qu'est-ce que la tenue du Sommet à Erevan apportera à l'Organisation internationale de la Francophonie.
Edward NALBANDIAN : Comme le Premier ministre canadien Justin Trudeau l’a déclaré lors de la conférence de presse conjointes clôturant le Sommet de Madagascar, le prochain Sommet de la Francophonie aura lieu dans une région où elle est peu représentée. Et, tout le mérite en revient à l’Arménie. Dans notre région, qui constitue un carrefour des cultures et des civilisations, les valeurs de la Francophonie peuvent être mieux déployées au profit de toutes les nations.
Nous prévoyons de faire valoir, dans le cadre du sommet, des questions représentant une grande importance pour l’Organisation Internationale de la Francophonie telles que diversité culturelle, développement durable, francophonie numérique, rôle et place de la jeunesse, nouvelles technologies, innovation etc. Nous espérons que le sommet d’Erevan aura sa contribution à ces questions.
Question : Monsieur le Ministre, quels sont les attentes de la tenue du Sommet à Erevan en ce qui concerne les priorités dans la politique étrangère de l’Arménie.
Edward NALBANDIAN : Si vous voulez dire les principales questions qui préoccupent notre peuple, celles qui figurent à l'ordre du jour de la politique étrangère de l'Arménie, alors depuis notre adhésion, la Francophonie s’est manifestée en faveur de ces questions. Lors du Sommet de Kinshasa en 2012 où l'Arménie est devenue membre de plein droit de l'Organisation Internationale de la Francophonie, sur la base de notre proposition, la déclaration relative au règlement exclusivement pacifique du conflit du Haut Karabakh a été inclue dans le document final qui appelait toutes les parties au conflit à s’abstenir de toute tentative de recours à la menace ou à l’emploi de la force qui risquerait de compromettre l’avenir du processus de paix, et les invitait à poursuivre les négociations sur la base des principes proposés par les co-présidents du Groupe de Minsk, comme un ensemble indivisible, en particulier ceux qui se rapportent au non recours à la force ou à la menace de la force, à l’intégrité́ territoriale, à l’Egalité de droits et à l’autodétermination des peuples comme fondement d’une solution équilibrée et durable à ce conflit. Et cette formule a été consécutivement approuvée par tous les prochains Sommets des Chefs d'Etats et de Gouvernements de la Francophonie.
Au cours de l'agression azerbaidjanaise contre le Karabakh en avril 2016, la Secrétaire générale de la Francophonie a été parmi les premières à réagir. Elle a fait une déclaration estimant inacceptable l'usage de la force et réaffirmant qu’il n’y avait pas d'alternative au règlement pacifique du conflit.
A l'occasion du Centenaire du Génocide arménien, la Secrétaire générale de la Francophonie, pour la première fois dans l'histoire de l'Organisation, a exprimé, dans une déclaration spéciale, sa solidarité avec le peuple arménien et ses condoléances aux descendants des victimes innocentes du Génocide. La 31e Conférence ministérielle de la Francophonie qui a eu lieu en octobre 2015 à Erevan, a adopté une résolution sur la prévention du génocide, qui faisait référence à la déclaration mentionnée. Les délégations des quatre-vingt Etats et Gouvernement participants à la Conférence ont rendu hommage à la mémoire des victimes du Génocide arménien au Mémorial de Tsitsernakaberd.
Question : Monsieur le Ministre, en tant qu’ancien Ambassadeur de l'Arménie en France vous êtes à l'origine de l’engagement de l'Arménie dans la famille francophone. Comment est-ce que l’Arménie a pris ce chemin et quels étaient les temps forts sur ce chemin ?
Edward NALBANDIAN : Apres avoir été nommé Ambassadeur de l'Arménie en France, j'ai fait des efforts visant à favoriser l’engagement de l’Arménie dans la Francophonie. Lors du Sommet à Ouagadougou en 2004, l’Arménie a reçu le statut d'observateur ; grâce à nos efforts, lors du Sommet à Québec en 2008, lorsque j’étais déjà Ministre des Affaires étrangères, l’Arménie est devenue membre associé de l'Organisation internationale de la Francophonie.
Dans les années suivantes, le processus de notre engagement s’est poursuivi et en 2012, lors du Sommet à Kinshasa, l'Arménie est devenue membre à part entière de l'Organisation internationale de la Francophonie ; notre engagement en faveur de la Francophonie, de ses valeurs fondamentales et de ses objectifs a été couronné de succès.
La prochaine étape était la tenue de la 31e Conférence ministérielle de la Francophonie en octobre 2015 à Erevan, dont la qualité d’organisation et le succès ont fait l’objet de l’appréciation de tous. Après cette expérience positive, l'Arménie a pris l’initiative de présenter la demande d'accueillir le prochain Sommet de la Francophonie. Et le Sommet à Madagascar a décidé à l'unanimité de tenir en 2018 la réunion de la plus haute instance de l'Organisation en Arménie.
Question : Quels sont les développements qui ont marqué les relations entre l'Arménie et la Francophonie.
Edward NALBANDIAN : Notre adhésion à la famille Francophone nous donne l'occasion de développer les relations avec l'Organisation, ainsi qu'avec les États membres tant au niveau bilatéral que multilatéral.
La Francophonie est devenue aujourd'hui une partie de notre vie quotidienne. La Saison de la Francophonie en Arménie avec ses centaines de manifestations culturels et éducatifs francophones, constitue, depuis plusieurs années, un événement marquant de la vie culturelle arménienne ; l’année dernière, près de 500 manifestations auront été organisées à Erevan et dans toutes les régions de l'Arménie, cette année le nombre de ces manifestations a dépassé 600.
Le Pacte linguistique, signé entre l'Arménie et l’Organisation Internationale de la Francophonie, aura permis de conforter l'enseignement de la langue française dans notre système éducatif et la place du français dans nos universités.
La coopération décentralisée francophone s’est notoirement développée ; notre capitale est un membre actif de l'Association internationale des maires francophones. L'Assemblée générale de l'Association internationale des maires francophones s'est tenue à Erevan en octobre 2011. Les liens entre l'Assemblée parlementaire de la Francophonie et le Parlement arménien se sont renforcé et ont donné à notre coopération francophone cette dimension parlementaire si nécessaire. L'adhésion du Parlement arménien en tant que membre à part entière à l'Assemblée parlementaire de la Francophonie, en juillet 2014, a été la conclusion logique de ce rapprochement. La Cour constitutionnelle de la République d’Arménie a établi des contacts intensifs avec ses partenaires francophones ; plusieurs établissements d’enseignement supérieur arménien développent une coopération active avec l'Agence universitaire de la Francophonie. A travers toutes ces réalisations, nous pouvons voir l'expression de l'ancrage de la francophonie dans notre pays.
Il est remarquable de constater que la grande sympathie qui se manifeste dans la société arménienne envers la Francophonie s'accompagne, dans le même temps, par un attachement particulier envers la culture française, qui est à la base du développement de la Francophonie en Arménie. Les liens étroits qui existent entre l'Arménie et la France, mais aussi avec des pays tels que le Canada, la Belgique, la Suisse, la Grèce, la Chypre, le Liban, l'Egypte et bien d’autres y jouent également un rôle important.
Comme je l'ai indiqué, la Francophonie est aussi pour nous une plateforme importante pour le développement et le renforcement des relations bilatérales avec les Etats et gouvernements membres de la Francophonie. Ainsi, plus d’une trentaine de rencontres ont eu lieu à Madagascar, en marge du Sommet, notamment avec des pays où nous n’avons pas de représentations diplomatiques, et par conséquent, nous n'avons pas de possibilités de rendre nos relations plus coordonnées et actives. Notre coopération avec la Francophonie et notre Présidence prévue en 2018 serviront également à ces objectifs.
Question : Monsieur le Ministre, vous avez parlé de l’attitude particulière du peuple arménien pour la culture française. Quel est le rôle des relations arméno-françaises dans le contexte de la Francophonie.
Edward NALBANDIAN : Notre engagement actif au sein de la Francophonie est basé, certes, aussi sur les liens historiquement étroits entre l'Arménie et la France et le profond sentiment d'amitié qui unit les deux peuples. Ce n’est pas un hasard si les relations entre nos peuples se caractérisent comme privilégiées.
Dans notre société, il y a également un attachement à la langue et à la culture française, qui plonge ses racines dans les temps anciens, en particulier dans le Royaume arménien de Cilicie où la langue française côtoyait la langue arménienne en tant que langue de communication.
L'une des figures clés de l'OIF, Monsieur Abdou DIOUF, ancien Président du Sénégal et ancien Secrétaire général de l'Organisation, dans l’une de ses récentes interviews, a donné une formulation précise : la Francophonie – c’est la langue française et des valeurs ; y compris des valeurs que la France, le berceau des droits de l'homme et l'avant-garde de l'égalité des droits des peuples, portait pendant des siècles.
Ce genre de perception de la France, de la culture française et de la francophonie existe également dans notre société.
Question : Monsieur le Ministre, vous avez parlé de M. Abdou Diouf. Avez-vous eu des relations avec d'autres figures de la Francophonie.
Edward NALBANDIAN : Le poste du Secrétaire général de la Francophonie a été créé en 1997, et j'ai eu la chance de connaître tous ceux qui ont occupés ce poste. Je me souviens, avec des sentiments particulièrement chaleureux, de M. BOUTROS-GHALI, le premier Secrétaire général de la Francophonie, qui fut bien avant le Secrétaire général de l'ONU, que j’ai très bien connu, et avec qui j'avais noué des liens personnels il y a plus de trente ans, lorsque j'étais en poste en Egypte.
Durant les années 2003-2014, le poste de Secrétaire général était occupé par M. Abdou DIOUF, une personnalité brillante, qui a tant contribué au rayonnement de la Francophonie. Nous gardons à l'esprit sa visite officielle en Arménie en avril 2010, et nous avons été très sensibles aux marques d'intérêt qu'il a témoigné envers le peuple arménien, sa culture et son histoire. Le Président DIOUF nous a accompagnés tout au long du processus d'intégration de l'Arménie au sein de la Francophonie. Dans ce contexte, j'ai eu l'occasion de mieux connaître cette personnalité exceptionnelle.
En ce qui concerne la Secrétaire Générale en fonction, je voudrais souligner que l'Arménie apprécie hautement les actions et les initiatives de Madame Michael JEAN visant à promouvoir les idéaux et les valeurs universelles de la Francophonie. Nous avons la conviction que, grâce à ses efforts déployés en faveur de la consolidation de la paix et de la démocratie, en faveur de la protection des droits de l'homme et des peuples, le rôle de la famille francophone dans les relations internationales sera renforcé davantage. Avec son dynamisme, son enthousiasme et ses idées créatives, Madame Michael JEAN donne un nouvel élan à l'activité de l'organisation.