Interview du Ministre des Affaires étrangères de la République d’Arménie, Monsieur Zohrab MNATSAKANIAN au journal français «Le Figaro»
17 avril, 2019LE FIGARO. Quel était l’objet principal de votre visite à Paris?
Zohrab MNATSAKANIAN. Avec la France, nous avons une relation particulière, «entre cousins». L’agenda de nos relations couvre un champ très large de sujets, politiques, économiques, culturels et dans le domaine de l’éducation. C’est la troisième fois que je rencontrais Jean-Yves Le Drian. Le président Macron était bien sûr présent au XVIIe Sommet de la francophonie, qui s’est tenu en octobre dernier à Erevan. Par ailleurs, la France est un membre important de l’Union européenne et l’Arménie a depuis 2017 un «partenariat global et renforcé» avec l’UE. Cette visite est une brique supplémentaire dans la structure très solide que constituent nos relations bilatérales.
LE FIGARO. Constatez-vous une quelconque avancée sur la question du Haut-Karabakh?
Zohrab MNATSAKANIAN․ J’ai rencontré mon homologue azerbaïdjanais, lundi à Moscou, en présence du chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, et des coprésidents du Groupe de Minsk de l’OSCE (France, Russie, États-Unis, NDLR). Cette rencontre faisait suite au sommet entre les dirigeants d’Arménie et d’Azerbaïdjan, le 29 mars dernier. Le cœur du problème, à nos yeux, est la sécurité des 150 .000 personnes qui vivent au Haut-Karabakh. Cette population est sous une menace persistante compte tenu de l’état d’esprit de haine cultivé à l’encontre des Arméniens.
La solution ne peut être que politique et le groupe de Minsk est le seul format pour y parvenir. Mais en même temps, il doit y avoir un climat favorable à la paix et des contacts entre les gens. On ne peut pas avoir des négociations de paix d’un côté et des manifestations de haine de l’autre. La sécurité des personnes, le statut du Haut-Karabakh sont des questions prioritaires. Les 150. 000 personnes de ce territoire doivent participer à ce processus. Ils sont les garants de l’identité arménienne face au déni du génocide.
LE FIGARO. Précisément, sur cette question de la mémoire, les choses n’avancent guère…
Zohrab MNATSAKANIAN. La France reconnaît le génocide arménien depuis 2001 et le président Macron a annoncé récemment que le 24 avril serait la journée de commémoration du génocide arménien en France.
Cette décision a profondément ému le peuple arménien. Nous devions disparaître de la surface de la terre. Nous sommes devenus une nation stable et solide, c’est une victoire. Mais malheureusement, nous subissons toujours un négationnisme de la part de la Turquie. Ce négationnisme ne concerne pas seulement les Arméniens mais toute l’humanité. Le président turc a jeté par la fenêtre les protocoles de Zurich (signés en 2009 et prévoyant l’établissement de relations diplomatiques et l’ouverture de la frontière entre les deux pays). Nous y sommes restés fidèles. Nous sommes prêts à aller vers la normalisation avec Ankara, sans préconditions.
LE FIGARO. Un an après votre «révolution de velours» du printemps 2018, quelles sont vos priorités?
Zohrab MNATSAKANIAN․ Le partenariat avec l’Europe, l’État de droit, la justice, la lutte contre la corruption, toutes les réformes pour lesquelles le peuple nous a donné mandat. Je citerais aussi la réforme fiscale et l’économie. Les potentialités en Arménie sont grandes. Notre «révolution de velours» s’est faite pour des raisons domestiques, pas géopolitiques: nous sommes pro-arméniens, pas pro-européens, pro-américains ou prorusses, même si nous travaillons étroitement avec la Russie.