Interview du ministre des Affaires étrangères d'Arménie Ararat Mirzoyan au journal "Le Figaro"
20 novembre, 2021Le 11 novembre, dans le cadre de sa visite de travail à Paris, le ministre des Affaires étrangères d'Arménie Ararat Mirzoyan a accordé une interview au journal français Le Figaro, qui est disponible ci-dessous;
Quelle est la situation à la frontière et au Haut-Karabakh, un an après le conflit?
L'agression militaire menée par l'Azerbaïdjan contre le Haut-Karabakh s'est terminée le 9 novembre 2020 par une déclaration tripartite de cessez-le-feu. Mais la situation demeure très tendue. Depuis un an, une trentaine de violations graves du cessez-le-feu ont fait des victimes et des blessés. Les Azerbaïdjanais ont assassiné aussi des civils.
Néanmoins, l'Arménie fait tout son possible pour établir une paix durable dans la région. Mais pour que ce processus puisse être efficace, les efforts doivent être menés des deux côtés.
Quels efforts l 'Arménie est-elle prête à faire?
Les rhétoriques sont différentes de part et d'autre. L'Arménie parle d'ouvrir toutes les voies de communication, mais l'Azerbaïdjan insiste sur un soi-disant corridor (avec sa province du Nakhitchevan, qui est enclavée entre l'Arménie, la Turquie et l'Iran, NDLR). L'Arménie est prête à transmettre toutes les cartes d'emplacement des mines dans la région dont elle dispose, mais l'Azerbaïdjan ne libère pas les prisonniers de guerre arméniens. Quand nous parlons de paix, l'Azerbaïdjan multiplie les déclarations xénophobes. Il suffit de lire les propos du président azerbaïdjanais. Il suffit de voir le «Parc des trophées» ouvert à Bakou au printemps dernier, où les Arméniens étaient humiliés et dénigrés.
Jusqu'où peuvent aller ces discours de haine que vous dénoncez?
La réponse à cette question complexe se trouve à Bakou. La haine peut mener à 'extermination et au génocide. Le peuple arménien le sait. Une paix durable est possible mais la présence de populations arméniennes dans un territoire contrôlé par l'Azerbaïdjan est difficile à concevoir. Aujourd'hui, aucun Arménien n'habite dans les territoires passés sous contrôle azéri à l'issue de la guerre, ce qui est un fait accompli de nettoyage ethnique.
Combien de prisonniers sont détenus en Azerbaïdjan?
De multiples témoignages montrent que les prisonniers de guerre subissent des traitements inhumains et dégradants, des tortures. Il s'agit des faits documentés par plusieurs ONG, y compris par Human Rights Watch. Nous disposons aussi de photos et de vidéos qui témoignent de la captivité de personnes dont la présence n'était pas confirmée par l'Azerbaïdjan. Elles peuvent avoir été la cible d'assassinats extrajudiciaires, être détenues dans des prisons clandestines, ou être victimes d'un trafic d'organes humains. La présence de 40 prisonniers de guerre est confirmée par l'Azerbaïdjan et une centaine est démentie.
Mercredi, vous avez rencontré le ministre français Jean-Yves Le Drian puis vous avez participé à une réunion trilatérale avec votre homologue Jeyhun Bayramov. Pour quel résultat?
Je remercie d'abord le président Macron, les élus français et tous ceux qui ont apporté leur soutien à l 'Arménie. Je veux aussi souligner l'importance de la reprise des négociations sous l'égide de la coprésidence du groupe de Minsk de l'OSCE. La question du règlement définitif du conflit du Haut-Karabakh est à l'ordre du jour. Mais à l'étape actuelle, nous sommes convenus de progresser par petits pas: la libération des prisonniers, l'accès au Haut-Karabakh des organisations internationales pour des raisons humanitaires, et l'accès de l'Unesco pour vérifier la situation du patrimoine culturel arménien. Celui-ci est menacé d'une destruction ciblée. La cathédrale Saint-Sauveur à Chouchi a ainsi été gravement endommagée par une attaque de drones délibérée. Près de 1 500 monuments culturels, 19 000 objets de musée sont en danger.
Quel rôle doit jouer la Russie, qui a déployé 2 000 soldats pour le cessez-le-feu?
La Russie a réussi à arrêter la guerre au 44 jours des hostilités. Elle est coprésidente du groupe de Minsk de l'OSCE. Les forces de paix russes assurent la sécurité des Arméniens du Haut-Karabakh et contribuent à la reprise d'une vie normale. Les violations du cessez-le-feu par l'Azerbaïdjan sont aussi dirigées contre la crédibilité des forces de paix russes.
L'Arménie est-elle prête à normaliser ses relations avec la Turquie et à accepter un corridor liant l'Azerbaïdjan à la Turquie?
Nous avons toujours dit que nous étions prêts à normaliser nos relations sans conditions préalables. Et ceci malgré l'immense implication de la Turquie dans la guerre au côté de l'Azerbaïdjan: par un soutien politique, mais aussi par la livraison d'armements et le déploiement de milliers de mercenaires étrangers. Nous avons entendu des signaux positifs de la part de la Turquie pour rouvrir le dialogue mais il demeure difficile. Ankara pose de nouvelles conditions. Parmi celles-ci, il y a le «corridor» liant l'Azerbaïdjan avec le Nakhitchevan et la Turquie. Il ne peut pas en être question. Les États doivent assurer le transit routier tout en maintenant la souveraineté de leur territoire. Toutes les voies de communication doivent être rouvertes dans la région.